Le premier numéro de Charlie Hebdo à paraître depuis l'attentat qui a décimé sa rédaction est déjà introuvable dans tous les kiosques de France, si bien que le distributeur a annoncé quelques heures après sa mise en vente que le nombre d'exemplaires sera porté de trois à cinq millions pour faire face à la demande.
« Il n'y en a plus », répètent inlassablement les marchands aux clients déçus. Plusieurs d'entre eux s'étaient pourtant levés avant l'aube pour se procurer l'édition fort attendue du journal satirique.
Qu'à cela ne tienne : tous les kiosques qui le demandent seront réapprovisionnés à raison de 500 000 exemplaires par jour, a déclaré Véronique Faujour, présidente des Messageries Lyonnaises de Presse.
Une page frontispice qui ne laisse personne indifférent
« Tout est pardonné », titre Charlie Hebdo, illustrant le prophète Mahomet à la une de son édition d'aujourd'hui. Une semaine après le massacre qui a coûté la vie à 12 personnes dont plusieurs collaborateurs, le journal satirique est toujours bien vivant.
Mahomet, qui en principe ne doit pas être représenté chez les musulmans, tient une pancarte portant les mots « Je suis Charlie », le slogan mondial qui s'est imposé après la tuerie auprès des défenseurs de la liberté d'expression. Le dessin est signé par Luz, l'un des rescapés de l'attentat.
« On s'est dit qu'il fallait qu'on fasse un dessin qui nous fasse marrer avant tout. Pas un dessin sur la charge émotionnelle dont on est victime, sur la charge symbolique dont on va avoir du mal à se sortir. » — Luz, dessinateur au Charlie Hebdo
Cette nouvelle couverture est toutefois dénoncée par plusieurs organisations musulmanes, qui la jugent offensante. Ainsi, plusieurs journaux ont choisi de ne pas montrer la page frontispice de l'édition d'aujourd'hui, comme le New York Times, Le Monde et la plupart des grands quotidiens britanniques.
« Un certain nombre de journaux anglo-saxons ont censuré le dessin, flouté sa reproduction. Ils n'ont rien compris », écrit l'éditorialiste Laurent Joffrin dans Libération. « Charlie est un journal laïque, comme la France. Manquer à l'esprit de Charlie, c'est manquer aussi à ceux qui sont morts. »
Le quotidien La Croix fait aussi partie de ceux qui applaudissent l'édition d'aujourd'hui. « Il était impossible à l'équipe des "survivants" de céder à l'intimidation, de renoncer aux caricatures qui leur ont valu cette condamnation à mort, de trahir leurs amis », fait valoir la directrice du quotidien, Dominique Quinio, en référence à la représentation du prophète Mahomet en une de l'hebdomadaire.
Une édition fidèle à « l'esprit Charlie »
Fidèle à son esprit caustique et irrévérencieux, Charlie publie sur 16 pages des croquis des dessinateurs assassinés - Charb, Cabu, Tignous, Wolinski - et des articles de
contributeurs eux aussi tués, comme l'économiste Bernard Maris, alias Oncle Bernard, ou la psychanalyste Elsa Cayat.
L'hebdomadaire revient en outre sur la tuerie du 7 janvier et sur l'enquête, notamment dans un article intitulé : « Terrorisme, des trous dans le filet ».
Comme à son habitude, le journal présente en dernière page à ses lecteurs les couvertures auxquelles ils ont échappé, dont l'une dit : « Terroriste, un métier de feignant et de branleur ».
Et en page intérieure, il revient en dessins sur les manifestations du week-end sous le titre : « Dimanche 11 janvier 2015, plus de monde pour Charlie que pour la messe ».
Un numéro concocté dans la « douleur et la joie »
Une trentaine de journalistes et de collaborateurs ont participé à la réalisation de cette édition fort attendue dans les locaux du quotidien Libération. C'est dans la « douleur et la joie » que l'équipe a concocté ce numéro, aux dires de son rédacteur en chef, Gérard Biard.
La nouvelle édition dite « des survivants » sera publiée à cinq millions d'exemplaires, contre 60 000 habituellement. Elle sera traduite en 16 langues. Les recettes doivent être versées aux familles des victimes.
Il sera toutefois difficile de ce côté-ci de l'Atlantique de mettre la main sur ce nouveau numéro de Charlie Hebdo, puisque seuls 1500 exemplaires seront livrés au Canada vendredi, dont les trois quarts sont destinés au Québec.
Des exemplaires supplémentaires pourraient toutefois être mis en vente la semaine prochaine. Au Québec, l'hebdomadaire est vendu 6,50 $ avant taxes.
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